Florent Didier 

Directeur artistique et chef d’orchestre du Paris Brass Band

Je ne poserais pas vraiment la problématique de la même façon, et pense qu’il n’est pas tout à fait judicieux de continuellement vouloir opposer Brass Bands anglais aux autres représentants européens. Certes ces Brass Bands sont ceux qui enregistrent le plus, mais comment pourrait-il en être autrement : alors que le Black Dyke ou le Cory Band existent depuis de nombreuses décennies, le Paris Brass Band n’a, par exemple, pas encore fêté ses 10 ans d’existence : les moyens (financiers, médias, organismes fédérant ou mécènes, etc…) mis à disposition sont incomparables, et là où ces ensembles ont les ressources et les supports pour enregistrer plusieurs fois par an, nous ne pouvons pas, de notre côté, nous le permettre. Mais cette situation n’est pas frustrante : elle nous engage au contraire à évoluer et à nous développer davantage. 

Concernant le postulat d’une uniformisation du « style » j’ai une analyse différente :

Qu’entend-on vraiment à travers la notion de « style » ? 

Si l’on parle du langage, d’une façon d’écrire la musique, les ensembles hors Royaume-Unis créent et jouent régulièrement (en concert et en concours) des œuvres de compositeurs comme Thomas Doss ou Oliver Waespi (et bien d’autres), qui ne sont pas issus de « l’école britannique », et qui donnent à entendre un langage distinct, propre et novateur. Au contraire d’une uniformisation au plus haut niveau, il y a plutôt une recherche de certains ensembles de créer des pièces qui conviennent à leurs spécificités musicales. Cela ne pousse donc pas ces ensembles à jouer dans un « style » (langage) britannique. Au passage le Paris Brass Band travaille avec un compositeur en résidence, Olivier Calmel, non issu de « l’école de Brass Band britannique ».

Si l’on parle de la façon de jouer (sonorités instrumentales, articulations, son d’ensemble, modes de jeux, etc..) il suffit d’écouter les diverses compétitions internationales pour vite se rendre compte que les Brass Band ont des caractéristiques de jeu bien différentes. Les Brass Bands Belges, Suisses, Français, Norvégiens, Anglais, etc.. : sonnent tous différemment ! (Et ces Brass Band ont d’ailleurs tous leurs spécificités au sein d’un même pays : écoutez par exemple les 3 Brass Band Français de la catégorie honneur, ils ont des spécificités de jeu bien différentes et tant mieux). 

Les retours au Paris Brass Band des médias, des mélomanes avertis ou des spectateurs lors des quatre derniers Championnats d’Europe nous le montrent d’ailleurs bien (« un son d’ensemble qui leur est propre, un jeu orchestral », etc..). Je ne trouve pas que la façon de jouer tende à se rapprocher de plus en plus ou à s’uniformiser. Pour preuve le dernier Championnat d’Europe : même si la pièce a déjà été entendue maintes fois en concours, le Trance de Valaisia fut unique et empreint de leur identité sonore. Hypercube créé par le Paris Brass Band et le Ravelling-Unravelling ont montré un langage et des spécificités de jeux très différentes. D’ailleurs il ne me viendrait pas à l’idée de jouer du P. Sparke en concours international confronté à des Brass Bands britanniques, comme les Brass Band britanniques ne choisiront certainement pas un Audivi Media Nocte d’O. Waespi comme pièce au choix. Ceci prouve bien que nous ne sommes pas en route vers une uniformisation, au contraire. 

Enfin concernant des Championnats d’Europe considérant le côté technique de l’interprétation comme prédominant : je ne pense pas que cela soit le cas. Certes l’aspect « technique », virtuose, démonstratif est important, mais pour les Brass Bands en compétition ce « niveau technique » n’est pas devenu « hors-norme ». L’auditeur dans la salle peut peut-être le ressentir autrement, mais la difficulté technique évolue avec les progrès des instrumentistes dans ce domaine et les éléments techniques demandés aujourd’hui sont rarement irréalisables ou inadaptés. Si l’on part de ce postulat, la différence d’interprétation ou de jugement ne se fait donc pas uniquement sur un « plan technique » mais bien en mettant en jeu l’ensemble de l’interprétation. Et il suffit d’écouter les passages «chorals», les interventions de solistes, les partis pris musicaux et les interprétations fouillées et recherchées des différents ensembles pour en être convaincu. Et suivant ce raisonnement on peut avoir des idées ou des partis pris musicaux différents, mais le Cory Band n’a pas volé sa victoire lors des derniers Championnats d’Europe.