[FR] Conférence : Le Brass Band en France

Dans le cadre de la préparation des championnats d'Europe qui se déroulent en France en 2016 (Lille), l'European Brass Band Association a demandé à Eric Brisse de retracer l'histoire du Brass Band dans notre pays.  Il s'agit pour l’EBBA au travers de cet exposé, d’intéresser les participants à venir cette année en France, et faire comprendre également que la France n'avait pas été choisie par hasard ou par défaut, mais qu'il existait un véritable mouvement dans ce pays.
Cette conférence est parue à la demande de l'Association des Brass Band de Nouvelles Galles du Sud (New South Wales) NSWBBA, en Australie dans la revue The Music Stand, en 2015.

Eric Brisse est un des pionniers de notre culture Brass Band, il est le créateur de l'orchestre des Cuivres d'Amiens en 1989 (3ème Brass Band créé en France), ensemble qu'il dirige encore aujourd'hui.

Voici donc la conférence sur l'histoire du Brass Band en France qu'Eric Brisse a tenu à Fribourg lors des championnats d'Europe 2015.

 

Le Brass Band en France

Dans le nouveau traité d’orchestration  de Désiré Dondeyne, et Frédéric Robert, écrit en 1992, le Brass Band est défini de cette manière : « c’est un orchestre de cuivres clairs et de cuivres doux (saxhorns) formant ainsi un ensemble composé seulement de deux familles instrumentales »

Les auteurs ajoutent : « Cet orchestre au timbre spécial, n’est pas très usité en France… »

Et pourtant, c’est un paradoxe, mais la formation instrumentale la plus British qui soit, semble bien avoir des racines françaises, très anciennes pour certaines d’entre elles.

Une origine linguistique tout d’abord ; jusqu’au XVIIIème siècle, en Français,  la bande désigne en effet, une formation orchestrale régulière composée en principe d’instruments appartenant à la même famille.

C’est cette origine que l’on retrouve dans le mot anglais band qui désigne d’une façon générale des ensembles où dominent les instruments à vent.

L’autre racine française du Brass Band est à rechercher dans la facture des instruments qui lui sont caractéristiques, car c’est bel et bien en France qu’ils ont été élaborés… Dès 1828 !

C’est probablement à cette date qu’Halary invente le cornet, qui deviendra l’instrument solo des kiosques, mis à l’honneur plus tard, par Jean Baptiste Arban,  pour interpréter les polkas, les airs et variations et les galops.

C’est aussi ce coté populaire qui jouera en défaveur de son développement en France.

Cet instrument n’est plus enseigné au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris depuis 1942…

C’est également, lors d’une tournée en Angleterre vers 1844 par le quintette Français de John Distin et ses quatre fils, que les musiciens Britanniques découvriront et adopteront rapidement ses nouveaux instruments du génial inventeur Belge Adolf Sax.

On nomme alors ces nouveaux orchestres, les « Saxhorns Bands »

On compare souvent le mouvement des Brass Bands en Angleterre à celui des fanfares et harmonies qui se sont développés dans le Nord et l’Est de la France ; Par cette comparaison, c’est l’ampleur de ces mouvements que l’on met en avant (dans les années d’après-guerre, on comptait au Royaume-Uni près de 15 000 formations de ce type…) mais aussi leur institutionnalisation.

Le tout premier sera le Coxlodge Band, créé à Newcasle-upon-Tyne en 1809, composé d’instruments divers. Serpents, Ophicléides, Cors Naturels, Bassons russes, etc….

Très vite, dès 1850 en Angleterre (alors que les premiers Brass Bands ont été créés en 1830), on a cherché à se comparer, à s’affronter lors de concours qui faisaient véritablement penser à des rencontres sportives; en France, un peu plus tard, c’est avec les orchestres d’harmonie qu’ont été mis en place ce type de concours.

La comparaison avec les orchestres d’harmonie s’arrête là.

Dans la culture britannique contemporaine, la popularité de ces ensembles ne s’est pas démentie alors que les orchestres d’harmonie français sont progressivement marginalisés depuis l’entre-deux guerres.

On peut voir deux raisons à ce succès.

D’abord, le répertoire : les Brass Bands n’ont pas hésité à interpréter les grands succès de la musique pop ou rock, (voire techno !) tout comme les pages les plus célèbres de la musique classique (airs d’opéras, adaptation de quatuors à cordes, chorals …)

Ensuite, le courant Brass Band n’est pas resté cantonné à la seule Angleterre : il s’est progressivement diffusé dans toute l’Europe.

On compte aujourd’hui près de 2000 Brass Bands dans l’ensemble des pays scandinaves (le mouvement y est apparu dans les années 1950) 200 en Suisse, 50 aux Pays-Bas et 30 en Belgique. (dans ces trois pays, le mouvement s’y est développé à partir des années 70)

Le mouvement aurait pu prendre place en France. Pourtant il faut attendre les années 1980 le premier Brass Band français.

Pourquoi ?

Selon Brindley Boon, un historien salutiste, il y a une raison à cela :

Les Français sont des gens cultivés. La musique classique est ancrée dans leur culture et, ils ne peuvent regarder d’un bon œil, ces Brass Bands et leur musique de bas étage…

Condescendants les Français ? peut être…

La musique populaire est souvent dénigrée. On doute que les amateurs soient musiciens…

Comme en Grande Bretagne, on observe néanmoins, au début du XIXème siècle, en France, l’apparition de nombreuses chorales, grâce notamment aux efforts de Guillaume Louis Bocquillon, dit Wilhem, qui développe une méthode de chant choral, l’Orphéon, permettant l’essor de la pratique amateur en France

Dès les années 1850, avec le développement des instruments à vent, les harmonies se développent plus particulièrement dans le Nord et l’Est du Pays.

Elles sont vues d’un très bon œil par les municipalités qui les subventionnent puisque ces sociétés, souvent dirigées par d’anciens militaires animent les cérémonies républicaines.

En Angleterre, c’est plus au sein des industries, que les ouvriers ont pu chanter puis jouer d’un instrument de musique.

La nomenclature du Brass Band est inchangée depuis 1900.

à partir de cette date, les ensembles du Nord de l’Angleterre acceptent de participer au National Championships, organisés au célèbre Crystal Palace de Londres.

L’adoption d’un programme musical imposé est un facteur d’égalité dans le jugement.

L’obligation de présenter des ensembles ayant tous la même nomenclature : on appelle cette composition particulière : le Contest Band.

Les Brass Bands français ont la même nomenclature que partout dans le monde.

Le mouvement fait son apparition en France dans les années 1980, soit près d’un siècle après le plus grand nombre de ces formations en Angleterre !

Il faut ainsi attendre 1983 et la création du Brass Band du Val de Loire par Jean Paul Leroy, professeur de trompette au Conservatoire d’Orléans pour que la France voit naître enfin son premier Brass Band.

Cette initiative est d’abord pédagogique, permettant aux élèves, la découverte et la pratique de la musique d’ensemble : le Brass Band requiert une grande rigueur dans le travail, proche de celui de la musique de chambre.

Le succès ne s’est pas démenti à Orléans puisque l’ensemble a fêté en 2013 ses 30 ans d’existence.

Quelques orchestres de cuivres sont constitués à la suite de ce précurseur mais ce ne sont pas encore de véritables Brass Band : un pupitre pose problèmes dans la nomenclature très stricte de cette formation : le pupitre des saxhorns altos.

Cet instrument n’est tout simplement pas enseigné en France, alors qu’on a compté jusqu’à 12 classes de clarinettes au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris au XIXème siècle…

Souffrant d’une mauvaise image, on lui trouve un son désagréable, nasillard et pas homogène.

Il ne gardera pas sa place au sein des harmonies.

Par conséquent il a fallut trouver d’autres instruments : les cors en fa ont ainsi co-existés avec les autres pupitres dans les débuts du Brass Band Nord-Pas-de-Calais ou de l’Orchestre de Cuivres d’Amiens, et aujourd’hui encore, l’Impérial Brass Band de Caen , ou l’Orchestre de Cuivres de Paris, accueille toujours en son sein un pupitre de cors en Fa en lieu et place des saxhorns altos.

L’instrument a pourtant bien évolué : un système de compensation, le trigger, permet désormais d’homogénéiser les sons sur toute la tessiture.

Pour le moment en France, qui compte désormais une soixantaine de Brass Bands ces instruments ne sont pas, joués par des spécialistes : ce sont les trompettistes/cornettistes ou les saxhornistes qui assurent les parties… Ce qui change énormément le son d’un Brass à l’autre

Le pupitre de saxhorns alto du Paris Brass Band est ainsi joué par des saxhornistes, ce qui  assure un son d’une belle rondeur.

A contrario, le même pupitre d’Aeolus Brass Band, animé par des trompettistes,  va donner une couleur plus claire à l’ensemble.

Les débuts du Brass Band à la Française débutent donc avec les instruments disponibles.

Mais les instruments orthodoxes vont rapidement intégrer car les musiciens se familiarisent avec le contest band.

Sous l’impulsion de Jacques Gaudet, directeur des établissements Courtois, un concours de Brass Bands et d’Orchestre de Cuivres International (Open) est organisé à Amboise à partir de 1995 : il réunit des ensembles français variés mais aussi de véritables Brass Bands (anglais, belges, hollandais, suisses…)

Nous pouvons peut dire qu’aujourd’hui, les Brass Bands bénéficient d’un très large phénomène de mode : les musiciens puis le public sont attirés par un répertoire différent de celui des harmonies.

Les compositeurs les plus prolixes pour les ensembles à vent (Sparke, De Meij, Graham,…) écrivent d’abord pour Brass Band puis transcrivent leurs pièces pour les harmonies (Music of the Sphere, Extreme Make Over, Call of the Cossaks,…)

Quelques tentatives de la part des compositeurs Français pour écrire pour le Brass Band sont à noter, mais, très souvent les meilleurs compositeurs ont joué ou dirigé un Brass Band.

Depuis que le mouvement s’est développé, les Brass Bands frontaliers de Belgique ne viennent plus en France.

Les Orchestres militaires, ont également fait évoluer leur nomenclature.

En effet, la suppression des armées de conscription coïncide avec l’émergence du mouvement Brass Band.

La musique du 43ème  régiment de Lille est ainsi devenue un Brass Band sous l’impulsion d’Antoine Langagne qui à crée également le Brass Band de la musique de l’air, avec des Cors, puis avec des Saxhorns Altos.

Depuis 1998 le mouvement Brass Band à été officialisé en France avec l’adhésion de la Confédération Musicale de France à l’European Brass Band Association.

Cela à permis aux meilleurs ensembles français de se produire lors des championnats européens ; le 1er fut le Brass Band Normandie, suivi du Brass Band Nord-Pas-de-Calais, le Brass Band Aeolus et depuis peu le Paris Brass Band, qui sont aujourd’hui les meilleurs représentants de cette formation à l’étranger.

Remarquons à ce propos que ces deux derniers ensembles sont composés de musiciens professionnels et /ou d’étudiants de haut niveau, jouant en amateurs.

Le répertoire très technique à ce niveau permet aux musiciens professionnels d’exprimer leur talent.

Le premier championnat de France de Brass Band eu lieu en 2004 sous l’égide de la Confédération Musicale de France, institution reconnue d’intérêt public qui rassemble toutes les formations musicales affiliées du pays.

Dans le dossier de présentation de 2004, la CMF doit faire preuve de pédagogie en expliquant brièvement ce qu’est le Brass Band et ses origines car le mouvement est peu connu en  France à cette époque.

Ce concours est organisé dans le même soucis d’équité que les concours anglais avec un règlement strict : la liste des musiciens est contrôlée, le jury est caché, les ensembles ne peuvent préluder sur scène.

La nomenclature est fixée comme en Grande Bretagne avec quelques exceptions.

Il est encore possible de remplacer le Trombone basse par un trombone ténor, l’Euphonium et/ou le Baryton par un Saxhorn Basse, et les Tubas Sib et Mib, par des Tubas en Ut et/ou en fa.

Depuis peu, se développent les Brass Band juniors, et également les Brass Bands à l’école, qui sont encore peu nombreux.

Ce mouvement est très intéressant pour les instrumentistes de cuivres en France, il leur permet de jouer, quel que soit leur niveau, des partitions plus intéressantes qu’en orchestre symphonique ou en harmonie.

Plus technique pour tous les pupitres, elles exigent de la part des musiciens une grande rigueur dans le travail personnel et pendant les répétitions où, comme en musique de chambre, se met en place une certaine écoute entre les pupitres, avant d’aboutir au plaisir de jouer ensemble.

Cette musique rassemble depuis quelques années en France, un public curieux et souvent conquis à l’issue des concerts, de plus en plus nombreux.

A long terme, espérons que cette adhésion permettra le développement d’un mouvement originaire de notre pays dans l’ensemble de la France et nous renseigne sur la meilleure façon d’être absolutely Brass !

 

Eric Brisse

1er Mai 2015 - Freiburg - Allemagne

Conférence lors du Forum de l’European Brass Band Association