Arabian Nights, une victoire à l'anglaise

Parmi la longue série des performances de légende en concours on trouve celle du Brass Band Tredegar lors du British Open 2013 avec la pièce de Stephen Roberts "Arabian Nights, Fantasy on Rimsky Korsakov’s Scheherazade for Brass Band". Tredegar, alors sous la direction de Ian Porthouse avait joué en 8ème position (sur 17) et a tout simplement rendu une copie proche de la perfection. Les gallois n'ont malgré tout pas eu les moyens, l'envie ou le temps de graver un enregistrement de leur interprétation d'Arabian Nights. C'est ce qui nous laisse penser qu'il est malheureusement préférable quelques fois d'avoir une victoire du Cory ou du Black Dyke car ceux-ci, fort de leur dynamique et de leur moyens, enregistrent ensuite les grandes pièces en studio... mais c'est une autre histoire. Cette victoire devant les plus grands Brass anglais (le Cory arrive deuxième) constitue leur dernier titre en date.

Fort heureusement un enregistrement live de leur performance est disponible sur ce lien.

Outre les seize minutes de musique exceptionnelle qu'il nous a été donné d'apprécier, la performance des différents ensembles s'est jugée sur quelques points très précis. Comme souvent en concours et particulièrement en Angleterre, le "show" prend une part importante et même si le jury ne voit pas la scène, la performance individuelle peut prendre le pas sur la performance collective. En l'occurrence ce jour-la, cette pièce fait la part belle (encore une fois) au cornet soprano et c'est là-dessus que Tredegar a fait la différence, indéniablement.

Breathless Apotheosis

C'est ce qu'a noté sur le moment le site anglais 4barsrest.com lors du direct de la compétition, et surement ce qui les a fait élire cette performance comme "performance de l'année 2013". La pièce termine sur une note stratosphérique du cornet soprano et il est évidemment extrêmement compliqué de la jouer fortissimo, juste et en place après l'effort d'un quart d'heure de musique. En écoutant les concurrents du Tredegar ce jour-là bien peu de musicien ont pu la jouer. Inaudible pour la plupart des ensembles, Cory, Co-Operative Funeralcare, Milnrow et Virtuosi GUS, mauvaise note pour le  Brighouse et le cornet soprano du Black Dyke tombe à côté avant de se rattraper. En réalité seul le cornet soprano du Tredegar ce jour-là va jouer complètement ce contre-mi ravageur.

 

Le prix de la performance

Mais dans l'effort il ne peut pas le jouer dans l'accord  final. L'étonnant de la prestation est que le musicien attrape la bonne note à la toute fin de l'accord et la tient jusqu'à bien après la coupure du son. Ainsi cette note résonne pendant encore un temps après la fin de la pièce. Il peut la jouer, il la joue et en fait profiter tout le monde, au détriment de la logique musicale. Voilà l'idée même de la performance à l'anglaise, récompensée par le jury, alors qu'un concours requiert toute la rigueur musicale que l'on connait, cette quasi faute de goût et très appréciée en Angleterre où l'on voue un véritable culte à la performance solistique. Mais la performance est là, Ian Roberts a joué cette note finale, juste, forte, claire, et ce n'est pas grave si elle n'est pas en place car elle est impressionnante, la performance est unique. Par la même c'est toute la vision anglaise de nos ensembles qui est exprimée, le cornet soprano a un rôle à part qui tient de la difficulté de son instrument, car si tous les solistes de Brass Band dépendent aussi du pupitre qu'ils dirigent ce n'est pas le cas du soprano, seul maître à bord, à la fois excentré mais audible et visible par tous.

Cette note conclue une excellente performance de la plus belle des manières et c'est ce qui a fait la différence avec les autres Brass Band.

Le cornet soprano maître de l'équilibre

C'est une forte tendance dans le Brass Band actuel, l'effort rendu par le cornet soprano témoigne directement de la performance de l'ensemble. Un Brass Band dont le soprano est extraordinaire ne pourra pas mal s'en sortir... et vice versa, le soprano peut rapidement gâcher une performance a lui tout seul. La place, le piédestal qui est "offert" au musicien est une tendance que l'on retrouve ces dernières années, le cornet Mib est mis en avant par l'ensemble mais aussi par la musique. On note en effet que les compositeurs ne sont pas en reste quand il s'agit d'écrire pour cet instrument.

Ainsi, dans l'équilibre des Brass Band, le cornet soprano tire son épingle du jeu et le style actuel autant que la musique fait de lui le pivôt, le point de déséquilibre, le point de tension et le régulateur de la performance. Si on a tendance à penser qu'il faut de bonnes basses pour construire la musique de Brass Band (et c'est le cas), avec la musique écrite de nos jours c'est desormais plus le rôle du cornet soprano.