Pierre-Antoine Savoyat

Musicien, compositeur et chef d’orchestre

Le championnat européen est l'un des seuls évènement (avec la coupe du monde de Kerkrade) où l'on peut rencontrer des esthétiques bien différentes, certains diront que cela est la preuve de l'ouverture d'esprit du Brass Band. Je dois avouer que je n'en suis pas convaincu. C'est la première année où j'ai pu suivre en réel le championnat européen, car j'ai eu la chance et l'immense honneur de travailler avec Eric Janssen et le Brass Band Européen des Jeunes pour l'interprétation de ma pièce La Patronne de Cascia. J'avais l'habitude d'écouter via le livestream où les enregistrements audio et vidéos les éditions précédentes. Ce qui me frappe, c'est la façon dont la démonstration semble de plus en plus mise en avant pour gagner. Comme le disait Roy Terry il y a deux ans  : « La section « morceaux au choix » est devenue de plus en plus problématique parce que plusieurs bands ont développé l’habitude de commander un morceau seulement avec l’intention claire de manipuler le public à donner les hourras les plus grands et l’ovation la plus longue ». C'est un fait qui me semble avéré et qui a déjà été payant par le passé. L'édition 2016 fut un contrexemple la pièce de Sparke Raveling, Unraveling créé par le Cory, montrait une tout autre facette, que le mastodonte The Trumpets of The Angel. Les éditions précédentes ont souvent montré les Brass Band britanniques n'accrochant pas le podium de la pièce imposée, leur forte tradition les rends souvent conservateurs, à ne pas essayer à se frotter à la culture et aux influences des compositeurs...

Et même si je sens déjà l'indignation face à mes propos, les notes de l'imposée au championnat européen m'ont très surpris. Je ne pense pas être le seul. Comme beaucoup d'auditeurs, pour ne pas dire une majorité au vu des échanges que j'ai eu, j'ai été charmé par la prestation du Valaisia, dont j'ai trouvé que c'était le Brass Band qui avait le mieux joué la sublime musique de Thierry Deleruyelle (mention spéciale à Vincent Bearpark le cornet solo), et avec leur fantastique interprétation de Trance, les Valaisans semblaient ramener un second titre européen à la Suisse (comme l'ont pensé tous les journalistes spécialisés). Mais le jury en a décidé autrement. Je ne sais pas s'il y a une grille de notation particulière qui influencerait une manière de jouer, mais la différence est frappante, le jury attendrait-il une tradition que le public néophyte n'attend pas ? On voit bien cependant qu'avec une comparaison le public peut trouver qu'un Brass Band non britannique joue aussi fabuleusement bien. Qu'on soit bien d'accord, le Cory et le Black Dyke sont des Brass Band merveilleux et je ne remettrais jamais en cause leur travail et le mérite qu'ils ont. Mais j'avoue que les procédés et les choix me déçoivent, le show du Cory lors du dernier championnat de France m'a fait grincer des dents. Ces Brass Band nous montrent que bien que s’ils sont surtout capables du meilleur, ils peuvent être capables du pire... Cela ne choque peut-être pas grand monde, probablement parce que la production de CD provient de Grande Bretagne de manière presque absolue. Ils imposent un style, les pièces de concours sont enregistrées par eux, donc de manière inconsciente, n'importe qui peut se retrouver influencé. Et le fait de se trouver victorieux les confortent dans leurs choix. Parfois certains Britanniques me donnent l'impression de mépriser le reste du paysage du Brass Band, que ce soit de voir partir deux anglais après la prestation du Brighouse, en nous disant, à moi et un ami, après un échange que la journée est finie pour eux, mais pas pour nous.

Je tiens aussi à profiter de ma jeunesse pour me permettre une insolence vis-à-vis de Philip Harper (malgré tout le respect que j'ai pour lui), lors de son article suite au championnat européen "Cory Band European Champions 2016. Band on a mission" . Je trouve cela très étonnant de reprocher aux compositeurs des pièces imposées d'écrire avec de la surenchère quand on le fait soi-même pour la pièce aux choix ( The Divine Right en fut un belle exemple d'après le ressenti de Roy Terry), et quant au reproche de devoir apparemment trouver des « combines » pour jouer les imposés, je propose à monsieur Harper de regarder les vidéos de Fraternity du Paris Brass Band et du Valaisia, il n'y a eu aucune tricherie (pas de tenues aiguës de seconds cornets offertes au soprano, l'écriture de Thierry Deleruyelle est tout à fait intelligente, utilisant la profondeur du pupitre de cornet pour placer des accords comme s’ils étaient joués du fond de la scène), et la cadence de cornet a été magnifiquement bien interprété par les cornets principaux (Vincent Bearpark et Alexis Demailly), je dirais même mieux que toutes les « combines » qu'il y a eu pour partager le solo. Pourtant, je suis assez d'accord avec Philip Harper lorsqu'il dit que la « brutalité musicale » et le « charlatanisme » (ce sont ses termes) remplacent la créativité musicale... Cependant, il me donne l'impression, comme j'ai pu lire chez d'autres spécialistes anglais, qu'il y aurait un style Brass Band à respecter.

Le style Brass Band n'existe pas, pas plus que le style orchestre symphonique ou le style quatuor à cordes. L'esthétique Brass Band n'existe pas non plus. Le Brass Band d'origine britannique c'est uniquement un effectif (que je ne ferai pas l'offense de rappeler) mais si demain quelqu'un veut composer une pièce dans le style de l'expressionnisme allemand, ou du spectral français pour cette formation, ce sera une pièce pour Brass Band, n'en déplaise à certains.

Après ce moment, qui va m'attirer les foudres de certains (mais dont le but est uniquement de répondre à l'appel au débat lancé par Philip Harper lui-même), je finirai par répondre à cette période très cruciale pour l'avenir du Brass Band par une citation attribuée à Debussy ou Bartok selon les sources : "La compétition c'est pour les chevaux, pas pour les musiciens." Sans partir dans une campagne anti concours (ce sont de formidables événements pour nous réunir pour des passions communes, ce qui est quelque chose de très précieux en ces temps troubles), je pense qu'il est important de relativiser et surtout de dédramatiser les concours. Les concours de musique comme les concours d'arts souffrent, à long terme, d'une part de subjectivité. D'où un désaccord complet entre la presse, le public et le jury. Il n'y a pas de réelle vérité, mes virulences ne sont que l'avis d'un musicien passionné. Tant que la communauté du Brass Band laissera chacun parler, nous ne tomberons pas dans l'uniformisation (je suis prêt à débattre autour d'une bonne bière avec qui le veut). Alors créons, jouons, toujours avec passion et sincérité, car plus qu'une simple formation orchestrale, le Brass Band et sa communauté peut faire sortir des merveilles que seul un rassemblement d'humains enthousiastes peut produire.